The sound of wind [ft. Astrée Kostas] [Flashback]

Silencieux, le vent du nord descendait doucement des montagnes, giflant de froid les créatures qui avaient eu l’audace de s’aventurer sur son domaine. Il faisait frissonner les arbres, lourds de la neige fraîche qui était tombée toute la nuit, leur donnant l’impression de créatures gauches pourtant prêtes à s’envoler. Ici et là tombaient quelques flocons de la taille d’un insecte, donnant à la montagne une atmosphère étrange, de calme après la tempête.

La neige du petit matin avait fasciné Aennlera, qui avait décidé de s’aventurer seule à l’extérieur de la Citadelle, rassurée par les habitants. Par ce temps, disaient-ils, la plupart des créatures étaient endormies ou se terraient au chaud. D’ailleurs, son oncle avait bien tentée de la convaincre de rester près du feu mais difficile de demander à la jeune femme de se tenir tranquille. Cela faisait un an qu’elle vivait avec eux, et il s’était fait à cette idée.

Emmitouflée dans un manteau de laine qui ne parvenait qu’à peine à la réchauffer, elle était sortie de la citadelle sur le dos de sa jument à la robe grise, fantomatique dans ce paysage, sous l’oeil incrédule des gardes dont les barbes étaient décorées de minuscules stalactite. Passé les portes de la ville, son arc d'entraînement habilement attaché dans son dos, elle avait lancé sa monture au galop vers les plaines enneigées, le froid lui arrachant une grimace.

Un demi-heure plus tard, elle était descendue de sa jument et l’avait laissée se balader à son gré, alors qu’elle avait repéré un troupeau de Siffleurs, ces petites créatures d’un mètre de hauts ressemblant à des daims dont la chair était particulièrement appréciée dans le royaume. Elle s’en approcha discrètement, la neige étouffant le bruit de ses pas. Mais si elle était suffisamment discrète pour ne pas se faire remarquer, elle savait que ses talents en archerie n’étaient pas suffisant pour en attraper un. Si elle ne se débrouillait pas trop mal avec un sabre depuis qu’elle avait commencé à s'entraîner, l’arc restait une plaie pour elle, ce dont son mentor ne manquait pas de lui faire remarquer avec moquerie.

Elle le saisit d’une main sûre, encocha une flèche et arma la corde, visant le siffleur qui avait l’air le plus fatigué, donc probablement le moins réactif de la horse. Elle prit une longue inspiration et, au bref moment où sa respiration pausa pour expirer, libéra la corde de son étreinte. La flèche fusa vers sa cible, instrument mortel entre les mains d’un expert… Mais Aennlera était bien loin de pouvoir prétendre à ce titre, aussi ne fut-elle pas surprise de voir la flèche se planter à un mètre du siffleur.

Elle observa  calmement l’animal bondir de peur et s’enfuir, emportant avec lui sa horde, lorsque sa jument revint au galop vers elle, piétinant d’impatience. La rouquine fronça les sourcils, soudainement inquiète. Grise était une vieille jument qui avait beaucoup voyagé et avait un tempérament calme. Ce comportement n’était vraiment pas son genre. Elle regrettait désormais d’avoir écouté ces villageois et n’avoir emporté que son arc. Il se pouvait qu’un animal affamé soit sorti de sa tanière pour chasser des siffleurs également, mais avait reporté son attention sur la jeune femme. Ou alors, possibilité tout autant inquiétante, la menace pouvait être humaine. Des gens affamés, il y en avait beaucoup aussi, et ils n’étaient pas à sous-estimer.

Prenant un air déçu fabriqué de toute pièce, elle laissa tomber son arc au sol, et retira également son fourreau de flèches. Si elle était en danger, ce ne serait pas ses piètres compétence en archerie qui la sauverait. Il vallait mieux qu’elle soit capable de sauter rapidement à cheval sans gêne pour s’enfuir au galop. Mais ne sachant quelle était la menace qui inquiétait sa jument, agir sans information pouvait lui être tout aussi fatal. Posant les yeux sur la plaine enneigée et prétendant d'être absorbée dans ses pensées,  Aennlera concentra son attention sur les bruits alentours. Mais mis à part le murmure du vent et le piétinement de Grise, le paysage était d'un silence déconcertant.

Le son délicat de sabots sur la neige attira l’attention d’Aennlera derrière elle.

- Tu devrais les garder. Même si tu ne sais pas t'en servir, une flèche reste une arme.

Posant la main sur l’encolure de Grise, la rouquine prit une fraction de seconde pour analyser la situation avant de répondre. La jeune femme en face d’elle n’était pas beaucoup plus âgée qu’elle. Habillée de poussière et de flocons elle voyageait probablement depuis plusieurs jours et son allure décontractée trahissait le fait qu’elle se sentait bien trop confiante dans ces terres isolées. Soit elle était originaire des Marches du Nord et connaissait la région comme sa poche, soit elle était quelqu’un qui n’avait peur de rien et de personne, ce qui appelait à la méfiance. Le petit sourire qu’elle affichait était probablement preuve suffisante pour prouver qu’elle n’était pas malveillante, mais Aenn n’était pas du genre à accorder sa confiance à n’importe qui.

D’un air peu convaincu, elle haussa les épaules

- Pas si ça m’entrave dans mes mouvements. Mes chances de survies sont plus élevées si je m’enfuis que si j’essaie de me défendre avec un outil que je ne maîtrise pas.

En tant que fille d’une famille noble d’Al-Jeit, elle n’avait pas été formée au maniement des armes durant son enfance. En revanche, elle savait monter à cheval avant de savoir marcher, et n’aurait aucun mal à sauter sur sa monture et partir au galop dans la foulée en un temps record si le besoin s’en faisait sentir. Elle pouvait se montrer impulsive et irresponsable, mais elle ne se leurait pas sur ses forces et ses faiblesses.

Il n’empêche qu’Aenn était curieuse de savoir pourquoi l’inconnue s’était arrêtée lui parler. Il n’était pas rare de croiser des gens sur les routes qui menaient à la Citadelle, mais en ce temps glacial, personne ne s’aventurait à l’extérieur. De plus, elle n’était pas tout à fait à côté d’une route fréquentée. La brune avait probablement choisi le chemin scénique… Ou peut-être était-elle une voleuse cherchant des proies faciles.

- Tu te rend à la Citadelle ?

Elle avait accompagné ses mots d’un signe de tête vers la direction générale vers laquelle se trouvait la cité. Quelle que soit la raison pour laquelle la jeune femme s’était arrêtée, elle ne semblait pas être un danger pour l’instant.

Le sourire qui s’afficha sur le visage de son interlocutrice avait l’air sincère. Elle était descendue de son cheval et lui avait tendue la main. Aennlera avait beau être méfiante, elle avait été bien élevée. Elle se détendit légèrement, et serra la main de l’inconnue, qui venait de se présenter. Si la jeune femme était un ennemi, elle aurait pu se débarrasser d’elle il y a bien longtemps.

- Enchantée, Astrée. Je m’appelle Aenn.

Dans la région isolée des Marches du Nord, elle avait prit l’habitude d’utiliser la forme courte de son prénom. Ici, personne ne faisait attention à la présence d’une particule dans ton nom ou à de quelle famille tu était le rejeton, et c’était un changement bienvenu comparé à la capitale.

- Je vis à la Citadelle depuis un an maintenant. En terme de techniques de combat, tu trouvera ton bonheur, c’est certain.

Elle fit quelque pas dans la neige, indiquant à Astrée qu’elle allait chercher sa flèche, plantée dans le sol à quelque pas de là. La ramassant, elle prit une seconde pour s’assurer que celle-ci était encore en bon état, et retourna vers la marchombre.

- Les Frontaliers peuvent sembler très… bruts. Mais ils sont très chaleureux et accueillants. Si tu souhaite t’entraîner avec eux, ils t’accueilleront les bras ouverts.

Elle eut un sourire discret, en se rappelant la première fois, il y a un an, qu’elle avait exprimé son intérêt auprès des Frontaliers pour apprendre le combat. Ils lui avaient rit au nez. Cette gosse de riche ne tiendrait pas deux heures, qu’ils disaient. Bon, c’était en partie vrai. Mais elle était revenue le lendemain. Et le surlendemain. Et le jour d’après. Et ainsi de suite, jusqu’à aujourd’hui. Elle ne comptait plus ses bleus, bien qu’elle en porte bien moins qu’avant. Mais même ses progrès considérables palissaient en comparaison de l’aisance meurtrière de ceux qui étaient nés ici.

- La Citadelle est à trois quart d’heure d’ici à cheval. Si tu veux, je peux t’y accompagner. Je suis sur le chemin du retour, de toute façon.

Si Astrée était une voyageuse, elle savait probablement se repérer assez facilement, mais Aenn ne pouvait pas la laisser y aller seule. Si elle rentrait plus tard et s'apercevait que la jeune femme n’était pas arrivée, elle s’en voudrait, même si elle ne la connaissait pas. La route principale était assez loin, et le chemin n’était évidemment pas indiqué au milieu des bois enneigés dans laquelle elles se trouvaient.

Et puis, raison principale si elle voulait bien se l’admettre, elle était curieuse de savoir qui était cette jeune femme qui voyageait seule par ce temps glacial et qui voulait observer la façon dont les Frontaliers combattent.